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Témoignage par Jean et Régine Laquerriere

Demeurant en province, j'ai fréquenté l'Escale très épisodiquement entre 1970 et 1975 puis avec ma femme dans les années 80.

C'était encore un monde à part dans un quartier qui commençait à faire meilleure place aux commerces de luxe "branchés" qu'aux étudiants.

Il y avait deux niveaux : au rez-de-chaussée le bar et la musique amérindienne, au sous-sol, la boîte proprement dite, plus africaine. Nous n'y allions pas, considérant le lieu comme davantage destiné à des vieux ( les gens devaient y avoir 40 ou 50 ans ), certaines femmes ne cachant pas leurs motivations profondes au bras d'africains ironiques et musclés.

Le rez-de-chaussée avec sa porte minuscule et son sas donnant sur la rue Monsieur le Prince était bien sage et calme, lors de l'ouverture vers 23 heures.

Au fur et à mesure de la nuit le volume sonore montait au hasard des interprètes et pour certains, du taux d'alcoolémie pour atteindre son apogée vers 2 heures du matin.

Il y avait en entrant à gauche une banquette rudimentaire et quelque tables sur lesquelles on buvait sangria (moins onéreuse pour des étudiants), Cuba libre ou Tequila.

En face de l'entrée, la caisse (sous l'autorité d'une probable sud américaine aux longs cheveux sombres) permettait de voir qui poussait la porte. Enfin sur un mouchoir de poche, au fond, à gauche, une scène minuscule où se produisaient, d'abord civilement puis de façon de plus en plus débridée, de petits orchestres qui souvent bénéficiaient de la participation occasionnelle de spectateurs de passage.

Il faut préciser que la majorité du public était constituée d'habitués et tout le monde finissait par connaître tout le monde.

Le tout étant savamment entretenu dans une pénombre propice à rêver à d'autres cieux.

La musique était chaleureuse, les chansons souvent connues par la majorité des spectateurs avec cette part d'improvisation qui n'existe que chez les artistes, et fait tant défaut aux professionnels.

J'ai souvenir d'un joueur de harpe (était-il péruvien ? chilien ? ou autre ?) qui au fur et à mesure, porté par l'ambiance et probablement d'autres facteurs plus efficaces, après une période avec l'orchestre continua en solo dans un silence complet seulement troublé de ses grognements . Pour enrichir son interprétation, il utilisait son pied nu, comme basse d'accompagnement, le gros orteil sur les cordes graves.

Ce sens de l'équilibre incroyable disparût dés qu'il fut question de "le" lever et quitter la scène !

J'ai souvenir également d'un spectateur, blond, blême, tout ce qu'il y a de plus européen, quitter son tabouret pour prendre un charango que lui tendait un musicien et s'intégrer naturellement à l'orchestre.

Cette mixité des genres : vrais mexicains étudiant à Paris, ou faux péruviens de Levallois Perret, interprètes de renom et anonymes doués, se fondaient dans la pénombre du lieu pour créer cette ambiance si particulière.

Les coups d'état militaires en Amérique du sud avaient, pour nous malgré tout, un avantage : la venue d'un grand nombre d'artistes de renom et de virtuoses, l'apogée étant bien entendu l'exode chilien après le coup d'Etat de Pinochet et la répression qui s'en suivit.

A la musique traditionnelle, puis aux chants engagés d'A. Yupanqui et de J. Marty, vinrent s'ajouter Victor Jara, Quarteto Cedron, C. Puebla et d'autres...

L'escale a dû accueillir bon nombre de ces déracinés.

La légende du lieu voulait même qu'en cas de contrôle par la maréchaussée, il suffisait de descendre au niveau inférieur et là, une porte permettait de rejoindre par des couloirs la place de l'Odéon.

Bien plus tard, nous avons voulu faire connaître ce lieu mythique à notre fils, mais en 2003, tout était fini, souvenir d'un discours un peu suranné.

Jean et Régine LAQUERRIERE

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