Rafaêl Gayoso nous raconte l'histoire des Machucambos et quelques souvenirs de l'univers de l'Escale La création de l'Escale
L'Escale existe
depuis 1945. Elle a été fondée par un couple,
un Espagnol et une Française qui s'étaient réfugiés
pendant la guerre au Panama. Après la guerre ils retournent
en France et ouvrent l'Escale. Ils engagent un guitariste, puis un
deuxième. C'est ainsi que l'histoire a commencé. C'est
là que nous nous sommes tous connus
Mes débuts à l'Escale
Je viens de Madrid.
Je suis avocat. A Madrid j'ai fait des études de Droit, puis
je suis venu à Paris en 1957 et je suis tombé sur l'Escale.
C'était tout à fait par hasard : des amis espagnols
m'en ont parlé. A l'Escale j'ai découvert le folklore
latino-américain et j'ai commencé à chanter pour
vivre de la musique. |
|
A l'Escale, j'ai connu Jesus Soto. A un moment, il travaillait dans un restaurant qui
s'appelait Le Sabot. Il chantait toute la nuit, puis
il se levait tôt pour faire sa peinture. Un jour il lui est
arrivé quelque chose d'étrange : il a perdu les paroles
de toutes ses chansons. Il n'avait pas perdu totalement la mémoire
mais juste les paroles des chansons ! Il me demande alors de le remplacer
et je l'ai fait pendant 3 mois jusqu'à qu'il retrouve la mémoire.
Puis je suis entré dans un orchestre qui partait à Beyrouth
où on a passé 3 mois à Bhamdoun (station estivale
dans la montagne libanaise), à l'hôtel Shepherd.
C'était un orchestre cubain qui s'appelait Cuban Pett. En réalité,
il n'y avait aucun cubain dans le groupe. Le chef de l'orchestre était
marocain. Il y avait des Martiniquais, un Mexicain qui s'appelait
Pedro, et moi, un Espagnol.
Avec Pedro, quand il n'y avait pas beaucoup de monde dans la salle, on chantait du mexicain.
Ca marchait bien pour nous deux. Avec le pourboire on gagnait plus que l'orchestre !
De retour à Paris, on a créé le trio Los Acapulcos composé
de moi-même, Pedro et un Péruvien : Milton Zapata. Plus tard
Pedro nous a quitté et c'est avec Milton Zapata et Julia Cortes qu'on
a créé Los Machucambos.
|
Julia Cortes est
la petite fille de Don Léon Cortes qui était le Président
de la République de Costa Rica dans les années 40. C'était
un Président très aimé et un homme remarquable.
Il avait supprimé l'armée et consacré le budget
militaire à l'éducation. Grâce à cela il
a pu éradiquer totalement l'analphabétisme dans le pays.
Julia est aujourd'hui très connue à Costa-Rica car c'est
la seule star internationale que le pays a engendré. |
A l'époque où je chantait avec Los Acapulcos,
Julia travaillait à Rome comme secrétaire de l'ambassade
de Costa Rica. A Rome, elle a rencontré Romano Zanotti qui
est venu ensuite s'installer à Paris. J'ai rencontré
Romano à l'Escale, et c'est à l'Escale que Romano a
appris à chanter en Espagnol.
L'année suivante, Julia est venue en vacances à Paris pour voir Romano. C'était
en 1958. Comme à l'Escale tout le monde chantait, Julia a interprété
quelques chansons et on a découvert qu'elle chantait vachement bien.
Depuis, elle a commencé à venir régulièrement.
Avec Los Acapulcos, Pedro, Milton et moi avons été engagés dans un restaurant
qui s'appelait La Polka des Mandibules où on a chanté
pendant un à deux mois. La patronne tombe amoureuse de Pedro, le
mexicain. Pedro se laisse aimer. Puis, l'été arrive et la
patronne décide de partir en vacances et d'amener Pedro avec elle.
On allait rester sans travail
Julia était là et on lui dit : "pourquoi tu ne chantes pas avec nous ? " Très
vite, elle apprend 4 ou 5 chansons et elle nous rejoint. Avec elle on a
eu plus de succès qu'avec Pedro
Puis le mois d'août arrive. Les restos sont fermés. J'arrive à Madrid où
mes parents avaient une maison à la campagne. Ils me donnent
l'autorisation d'y amener Julia et Milton. Tous les trois on a passé
un mois dans cette maison où on a monté notre répertoire.
En même temps on décide de changer le nom du groupe.
Los Acapulcos, ca faisait mexicain et après le départ
de Pedro aucun de nous ne l'était.
En Amérique du sud, les Indiens utilisent la peau d'un petit animal appelé
machucambo (un tatou) pour fabriquer une petite mandoline : le charango.
Comme on jouait de cet instrument, on a choisi notre nouveau nom :
Los Machucambos. C'était au mois d'août 1959.
De retour à Paris, on a enregistré notre premier disque
pour la Jeunesse Musicale de France. Le disque s'intitulait "
Chansons populaires d'Amériques latines ". Puis nous avons
été en tournée en Algérie, au Maroc et
en Tunisie. La Jeunesse musicale de France n'avait pas de circuit
de distribution commerciale mais on était libre d'enregistrer
le disque.
Un jour on passe à l'Ecluse, quai des grands Augustins, où chantait de
nombreux artistes connus comme Barbara. Quelqu'un de la maison DECCA
était dans la salle et il nous a proposé d'enregistrer
un disque.
On a alors enregistré la Bamba qui a obtenu le grand prix de l'Académie Française
du disque. C'était un grand succès. Quelque temps après
on a chanté au Bobino.
Moi et Julia nous nous sommes mariés en 1959. Ses parents sont venus assister au mariage.
Au bout de deux
ans, Zapata a décidé de nous quitter. C'est alors que
Romano arrive dans le groupe, fin 1960. Avec Romano on a fait une
nouvelle tournée avec la Jeunesse Musicale de France, puis
on a enregistré Pepito.
Dans les années 70 à l'Olympia nous avons donné un spectacle complet
avec tous les musiciens de l'Escale. |
|
En 1972 Julia est tombée gravement malade. Elle a été victime d'une inflammation de
la membrane qui couvre le cerveau. Elle a perdu la vue et la mémoire
et est devenue presque un enfant. La seule perspective qui restait était
de l'interner. On décide finalement qu'elle aille vivre avec ses
parents qui avait un pavillon à la campagne, au Costa-Rica.
Romano connaissait Maria Licata qui a rejoint le groupe. Comme ce n'était pas assez solide,
on a pris aussi Florence, une métisse haïtienne.
Florence n'est pas restée trop longtemps. Elle était prise d'amour pour tout ce qui était
noir. Et comme nous on était pas noirs, elle a fini par nous quitter ! Un jour elle a suivi un amant au Cameroun.
On a pris alors Maria de Aparecida, puis en 1980 on a pris Mariana Montalvo qui chantait à l'Escale. Mariana Montalvo a chanté avec nous jusqu'en octobre 2005.
Pendant tout ce temps, à Costa Rica, Petit à petit Julia s'est guérie de sa
maladie. C'est ainsi que nous l'avons retrouvée 30 ans plus tard,
en 2004, pour un concert à l'Auditorio Nacional de Costa Rica, puis
en 2005, au Teatro Melico Salazar. La salle qui comptait 900 places était pleine.
Violeta Parra est arrivée à l'Escale, dans les années 60 (1).
Elle était hippie, elle s'habillait comme les hippies se sont
habillés après. Elle avait beaucoup d'activités
artistiques. Tiens j'ai ici un masque fait par elle. (Il me montre
un superbe masque nacré accroché à son mur)
Un jour, elle nous a invité, Julia et moi, à dîner
chez elle. Elle habitait dans un petit hôtel, rue Cujas, et
le dîner c'était : un camembert et une bouteille de vin.
C'était très amusant. Elle était toujours amoureuse
de quelqu'un qui ne lui correspondait pas. Elle a été
amoureuse de beaucoup de gens, mais pas avec beaucoup de succès.
Ca a été une tragédie pour elle toute la vie.
On l'a engagée our chanter à l'Escale. Elle n'avait pas beaucoup de succès
! Elle était en avance sur son temps. Et nous mêmes qui étions
chanteurs on n'arrivait pas à apprécier les choses merveilleuses
qu'elle faisait. C'est après qu'on s'est rendu compte que c'était
extraordinaire.
J'ai connu ses enfants, Angel et Isabel. Angel, je le vois fréquemment.
Propos recueillis par Nazem le 5 janvier 2006.
1. Il s'agit en fait du deuxième passage de Violeta Parra à l'Escale. Le premier a eu lieu entre 1954 et 1956.
Julia Cortés est morte à San José (Costa Rica), le 21 novembre 2008
Rafaêl Gayoso est décédé le 25 décembre 2015.
Copyright Maison Orange - Tous droits réservés
Site réalisé par Choup' - mis à jour par Pirate de l'Art